Bonjour Tits et Grands,
Interview de
Monique Haillant (épouse de Bernard Haillant, auteur-compositeur-interprète),
Anaïs Georgel (ingénieure du son) et
Thierry Lamouche (photographe, peintre, dessinateur, graphiste et maquettiste).
Paris hiver 2018-2019.
Qui es-tu Monique Haillant ?
M : Je suis l’épouse de Bernard Haillant. Je connais bien son œuvre. Depuis son décès en 2002, j’essaie de la faire connaître. C’est pourquoi, en 2007, avec Robert Suhas, ingénieur du son et Thierry Lamouche, nous avons réalisé un coffret de huit CD reprenant ses huit vinyles parus entre 1972 et 1987.
Il y six ans, j’ai remis la main sur des bandes magnétiques que Bernard avait enregistrées en 1989, 90 et 91. Il avait eu le projet de faire un disque avec certaines chansons composées avec des enfants, mais cela n’avait pas pu se faire, j’ai eu l’idée de reprendre son projet. Comme je ne suis ni musicienne, ni graphiste, je me suis entourée de professionnels hautement qualifiés (rires), j’ai fait appel à Anaïs Georgel (ingénieure du son) et Thierry Lamouche (graphiste) pour le réaliser.
Qui es-tu Anaïs Georgel ?
A : Je suis ingénieure du son fraîchement diplômée d’un Master de musicienne-ingénieure du son, spécialisée dans l’enregistrement de la musique classique, mais aussi la chanson, le jazz etc. Monique m’a demandé de faire la numérisation des bandes analogiques de Bernard Haillant. À la base, ça n’était pas encore un projet de disque, le premier but était de pouvoir écouter l’ensemble des bandes magnétiques sans les endommager, donc en les numérisant pour les écouter à loisir sur un ordinateur ou un support CD.
Qui es-tu Thierry Lamouche ?
T : Je suis, pour simplifier les choses, illustrateur. J’ai la chance de connaître Monique et Bernard Haillant depuis longtemps. J’ai beaucoup travaillé avec Bernard pour ses pochettes de disques, vinyles et CD, ses affiches et ses dossiers de presse. Depuis son décès, j’ai participé à la création du coffret Je vous enchanterais les mots et j’ai fait la mise en page des partitions de ses chansons…
Qui était Bernard Haillant ?
M : Bernard a toujours chanté. Pour fêter son succès au BEPC, sa famille lui avait offert une guitare. À partir de ce moment-là, il a énormément composé et, avec les copains de son quartier, il a créé le groupe vocal « Les Baladins de Nancy ». Ils ont chanté dans les kermesses et les fêtes locales et ils ont enregistré un 45 T qui est parvenu jusqu’à la maison de disques Bel Air-Barclay à Paris. Les directeurs artistiques ont souhaité auditionner Bernard puis lui ont fait signer un contrat pour qu’il enregistre un 45 T Mille boules de neige qui est sorti en septembre 1964, il avait 20 ans.
Bernard était intéressé par toutes sortes de musiques dont les musiques du monde… Dick le Mélanésien est une chanson qu’il a écrite à partir d’un morceau original Jeune fille de beau rivage composé en 1972 par un jeune kanak.
Bernard Haillant était en avance sur son temps, L’homme qui pleure est une chanson qui parle de la sensibilité masculine, c’était nouveau en 1982. Il était chanteur, musicien et aussi un homme de scène. Il donnait des spectacles-chansons où il mettait ses chansons en « espace », chacune avait sa propre ambiance. Il jouait beaucoup avec les éclairages et s’accompagnait, outre de la guitare, d’instruments qu’il avait construits, jeu de cloches, jeu de verres, boîtes à musique… Il a même gonflé des ballons sur lesquels il peignait des visages… C’était visuel et sonore. Le spectateur allait de surprise en surprise. Bernard était un artiste-artisan complet.
Comment est né le projet du disque « Bonjour Tits et Grands » ?
M : Une fois les bandes magnétiques retrouvées, j’ai contacté Robert Suhas mais il n’habitait plus en région parisienne, problème… Et voilà qu’en juin 2017, miracle ! (rires) Anaïs, alors étudiante au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, est revenue d’Allemagne où dans le cadre d’Erasmus elle terminait ses études d’ingénieure du son.
A : Il s’agissait d’abord de voir de quel matériel technique nous avions besoin pour procéder à la numérisation de ces bandes. Nous avons travaillé dans un studio qui disposait d’un Nagra, lecteur de bandes demi-pouce de très bonne qualité, et d’un convertisseur analogique-numérique performant (Prism AX-24). Ce que j’ai constaté en écoutant les bandes, c’est le rapport égalitaire qu’il y avait entre Bernard Haillant et les enfants. Certaines chansons possédaient plusieurs versions, il a fallu choisir. Le challenge était également celui d’homogénéiser le son des bandes afin d’éviter un choc sonore. Il a fallu réduire le souffle, accomplir un travail d’ajustement de volume et de couleur sonore.
D’où venaient ces enfants ?
M : Les enfants venaient des centres de loisirs et des écoles maternelles du Pré-Saint-Gervais et des Lilas (92) où Bernard a animé des ateliers de musique.
Comment choisit-on les chansons ?
M : Au début, je pensais ne retenir que des chansons inédites, et puis au fur et à mesure que nous avancions, j’ai pris conscience que toutes tournaient autour de la naissance, de l’enfance, alors j’ai ajouté des chansons déjà parues. Le titre Bonjour Tits et Grands s’est imposé rapidement.
Comment en définit-on l’ordre ?
M et A : C’est intuitif, il n’y a pas une logique. C’est un peu comme une peinture. Il y a des évidences et des doutes. Plusieurs essais ont été tentés avant d’arrêter l’ordre définitif.
Comment se passe le travail du son ?
A : Je n’ai pas pu intervenir dans le travail de mixage ou dans les plans sonores des chansons car les bandes étaient déjà le résultat d’un mixage réalisé par Bernard Haillant. J’ai agi sur la qualité sonore générale de chaque chanson, donc avec un travail de restauration, mais aussi et surtout sur la sonorité générale du disque : l’homogénéisation sonore entre toutes les chansons, à travers la diversité de leurs couleurs sonores, leurs qualités de prise de son et de production, et leur état de conservation. C’est un travail de longue haleine qui nécessite beaucoup d’écoutes, beaucoup d’aller-retour entre les chansons, pour trouver une cohésion sonore et musicale tout en mettant en valeur chaque chanson.
M : C’est un travail qui exige une oreille fine, une attention constante, de la patience…
Comment as-tu illustré ce travail ?
T : Il y avait une évidence. Au niveau artistique, Bernard et moi étions en parfaite harmonie, nous avions défini une charte graphique donnant la priorité au texte, nous utilisions toujours des typographies lisibles. Concernant cet album, Monique m’a laissé libre. Elle l’a abordé avec ses souvenirs, elle a ouvert beaucoup de tiroirs… Il était impossible de faire figurer tous les participants par manque de documentation d’où l’idée de mettre des dessins d’enfants. J’ai choisi des couleurs chaleureuses à l’image des chansons, j’ai fait des propositions, dessins sous les deux galettes, couleurs différentes pour chacune…
M : Pour la pochette, je souhaitais une photo de Bernard avec des enfants, j’ai fouillé dans mes cartons, hélas je n’ai rien trouvé. Là, Thierry a eu un coup de génie (rires) en me proposant de travailler à partir de la pochette de Petite sœur des îles.
Album : Bonjour Tits et Grands de Bernard Haillant (2 CD) www.bernardhaillant.com
interview de Manu p/o Emmanuel Ronseaux pour RécréAction n°89
voir chronique de l’album dans le n°88 de RécréAction